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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
14 septembre 2009

Bogotá Afro : les noirs dans la capitale colombienne

bogoDepuis plusieurs décennies et pour diverses raisons, les Afrocolombiens ont tissé leurs réseaux dans la capitale du pays, une ville qui peut être écrasante et déconcertante. Toutefois, leur défi est de ne pas se laisser vaincre.

Par Diana Carolina Durán

Bogotá DC

Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga

Doña Elsa de Vallecilla est arrivée à Bogota il y a plus de trois décennies lorsque, pour des raisons professionnelles, son mari a été transféré de Cali. Et même si elle avoue ne s’être jamais sentie victime de quelque forme de discrimination dans la capitale nationale, elle affirme que ce panorama a changé lorsque ses trois fils qui sont nés et ont grandi dans cette ville ont été la cible d’injures.

"Ici, à Bogota, si tu n’as pas de parrain politique, tu n’es rien", déclare Doña Elsa. Elle se souvient quand l’une de ses deux filles, diplômée en psychologie a posé sa candidature pour intégrer la police et s’est retrouvée parmi les 100 meilleurs candidats. Soudain,  sans explication, elle a été retirée du concours. Sa mère a appelé le directeur de l'époque de cette institution, le général Luis Alberto Gilibert, une connaissance. "Quand elle était à l'intérieur, on lui a dit qu'elle avait été mise de côté parce qu'il y avait déjà beaucoup de Noirs".

Son fils aîné, est cependant celui qui a personnellement connu le goût amer de l'exclusion. Elle a par exemple été témoin une fois à l'école d’un épisode lors duquel on l’appelait Le Gorille.

Il y a deux ans, après un match de football dans une salle de sport située à l'ouest de la ville, une voiture a renversé son fils. Dans la deuxième clinique qui le traitait,  ils ont mis un plâtre sur un de ses pieds, et bien que Dona Elsa, infirmière de profession, a demandé qu'il soit retiré immédiatement, on ne l’a pas écouté. Trois jours plus tard, les tissus de son pied sont morts et on a dû l’amputer.

Doña Elsa (en foulard sur la photo) indique qu’un tel malheur fut causé par l'entêtement d'un "orthopédiste raciste " qui a refusé de traiter son enfant comme il se devait.

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Malgré le drame que cette situation a causé à sa famille, elle refuse de se laisser vaincre par la discrimination: “C'est que moi aussi j’ai une formation, sociale et culturelle, pour pouvoir parler avec n'importe qui. Parce qu'au bout du compte, la Chaire Afro essaie d'expliquer que le même sang coule dans nos veines. Et tel est le message que nous devons transmettre. "

Son visage reflète la tranquillité et l'optimisme. Contrairement à celui de Martina Alvarez*, la femme qui se trouve à ses côtés. Elle est un leader social de la côte Pacifique du sud-ouest qui n’est pas venue à Bogota parce que son mari a été transféré, ou parce qu’elle était attirée par quelque chose dans la capitale.

Martina Alvarez n’a jamais voulu quitter sa maison ni sa terre, mais les violences lui ont enlevé la possibilité de décider et ne lui ont laissé d’autre choix que l'exode.

Son enfant devra bientôt quitter l'école, car il n'a ni uniforme, ni le matériel lui permettant d'y assister. Elle refuse pourtant de se considérer, ainsi que sa famille comme des personnes déplacées.

Dona Martina dit qu’elle est à Bogota parce que c’est dans la capitale colombienne que se trouvent tous les bureaux auprès desquels elle peut déposer toutes ses plaintes.

Elle grommelle contre le peu d'attention qu'elle a reçue, mais ses efforts, que l’on note lorsqu’elle prononce la moindre phrase l’aideront à poursuivre sa mission.

Même si ce n’est pas son souhait, cette femme incarne le drame des déplacements, l'une des raisons qui ont poussé davantage d’afrocolombiens à se rendre à Bogota au cours des dernières années.

“A quoi bon nous enraciner, si nous ne possédons rien?", se demande-t-elle avec le chagrin de savoir qu’en plus son cas n’est pas unique.

Selon les données officielles, 11% de la population déplacée est noire. Entre 2002 et 2007, selon le Conseil pour les Droits de l'Homme et le Déplacement, (Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento )Codhes, Bogota a été la zone ayant reçu le plus de personnes obligées de quitter leur région à cause du conflit.

Dans le même ordre d’idées, il semble logique de dire que la majorité des déplacés afrodescendants viennent à Bogota.

La marginalisation

Laureano Garcia, seul Conseiller de race noire dans le Conseil Municipal de la capitale Colombienne reconnaît que le contexte dans lequel se trouvent les membres de sa communauté est assez complexe.

La plupart des Afrodescendants se sont installés dans les localités de San Cristobal, Uribe Uribe, Usme, Suba, Engativá et Ciudad Bolivar.

Comme nous le savons tous, les conditions de vie sont difficile à ces endroits. Il y a la marginalité, les gens vivent dans des taudis, les enfants n'ont pas accès à l'école ... En 2007, le nombre de déplacés à Bogotá était de 270.000 environ. 30% d'entre eux étaient des Afro-colombiens. Imaginez-vous ".

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Laureano Garcia, qui appartient au Pôle démocratique, est arrivé dans la capitale il y a 36 ans en provenance d’Andagoya dans le Choco, car sur sa terre natale, il n y  avait pas de travail.

Garcia avait une affectation de l’École Normale Supérieure qui le créditait du titre d’enseignant, mais même si les enfants nécessitant son enseignement étaient en grand nombre, son département ne disposait pas des ressources nécessaires pour qu’il puisse accomplir cette tâche. Garcia, comme beaucoup de ses collègues a fait  partie de la vague migratoire des enseignants du Choco vers le centre du pays.

En Janvier de l’année dernière, il a débuté son travail de conseiller, même s’il fut dirigeant syndical durant toute sa vie. "C'est la raison pour laquelle je ne me suis jamais laissé discriminer. Je reçois le traitement que j’exige, que je mérite, pour leque je me bats, dit-il gaillardement.  Garcia, qui a suivi de près les politiques publiques de Bogota au cours des quatre dernières années indique que l'inclusion des besoins des Afro-Colombiens est sporadique.

Doña Elsa, ancienne secrétaire des Consultiva Distrital de Comunidades Negras (Conseil Consultatif de District des Communautés Noires) ne partage pas cet avis. Elle affirme que les administrations comme celle de Luis Eduardo Garzon a donné de nombreux outils à sa communauté, mais que ce sont les Afro-Colombiens qui ont le devoir, toujours en vigueur, de s’en emparer.

Sous le maire Luis Eduardo Garzon, plusieurs organisations afrodescendantes se sont engagées à s'unir pour soutenir des propositions ayant pour objectif la revendication des droits des communautés noires installées dans la capitale. Les efforts conjoints de ces organisations, comme la Consultoría Distrital de Comunidades Negras, ont influencé les politiques publiques de l’ancien maire Garzón et les a rendues plus sensibles à la situation des afrodescendants de Bogota.

Les succès remportés grâce aux revendications sont visibles dans le secteur économique, dans lequel la communauté afrocomlombienne du district a contribué à la création de restaurants, de centres de beauté, d’écoles et d’usines de produits de consommation pour la maison.

Plusieurs afrodescendants occupent des postes supérieurs dans des entreprises nationales et multinationales représentées dans la capitale colombienne.

Cependant, l’une des préoccupations majeures de Garcia est l'absence de données statistiques pour l’élaboration de politiques publiques en faveur de la population Noire.

À Bogota comme en Colombie, il n'y a aucun chiffre sur le nombre d’afrocolombiens, ni sur leur occupation du territoire, sur le fait qu’ils sont ou non inscrits dans le système de santé.

Faits et réalité

À Bogota, il n'y a pas un seul chiffre, du moins officiellement indiquant le nombre d’afrocolombiens qui y vivent. Le plus proche est celui de Mi gente en Bogotá, une étude menée par les chercheurs de l’Université Nacional sous la direction du professeur Jaime Arocha.

Selon ce document, près d’un million d’afrodescendants pourraient se trouver dans cette ville. Les chiffres officieux disent cependant autre chose: on parle même d’environ deux millions.

Le conseiller Garcia dit que même le ministère de la Santé n’est pas en mesure de donner un chiffre approximatif, car les dernières données que ce bureau a publié, c’est-à-dire durant l'administration de Luis Eduardo Garzon, parlait d'environ 30 mille afrodescendant affiliés au SISBEN.

L'an dernier, le ministère de l'Éducation a enregistré 2657 enfants afrocolombiens inscrits dans les collèges et les écoles du district. Garcia est convaincu qu’il y existe un abîme entre ces chiffres et la réalité.

Le conseiller Garcia partage, sans le savoir, de nombreux points de vue avec Juan de Dios Mosquera, leader du Mouvement National Cimarron pour les Droits Humains des Communautés Afrocolombiennes. Mosquera est grandement préoccupé lorsqu’il constate la marginalisation dans laquelle les membres de sa communauté vivent dans la capitale.

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On n’embauche pas les afrodescendants dans les banques. Si on ne les embauche pas à la caisse, c’est encore moins le cas pour des postes de plus grande responsabilité. On ne les embauche pas à l’aéroport, ni dans les grands centres commerciaux, ou dans les chaînes de supermarchés. Et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, il est extrêmement difficile de trouver un homme noir ", explique Juan de Dios Mosquera.

Même si le leader de Cimmarron reconnait que le manque d’organisation est une des caractéristiques marquantes des Afrocolombiens depuis des décennies, il souligne que l’on trouve tout de même des exemples de réussite à Bogotá. Plusieurs afrocolombiens ont atteint les échelons supérieurs des organisations nationales et multinationales.

Sandra Hinestroza Mena, Directrice  des Affaires - Impression et Imagerie - de Hewlett Packard est l’une d'entre eux, elle qui apparait dans le numéro spécial de Semana de la semaine dernière sur les 100 entreprises les plus puissantes du pays comme l’un des leaders de l'exécutif de moins de 40 ans les plus remarquables en Colombie.

Alcibiade Hinestroza Cordova, natif de Pie de Pato dans le Chocó est un autre des talentueux entrepreneurs Afrocolombiens vivant à Bogota. Il dirige actuellement la Promotion et l’Assistance Technique au Développement de Fedepalma. Il avait présenté sa candidature au poste et a été retenu.

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Sandra Hinestroza Mena

Selon Alcibiade Hinestroza, “les gens qui étudient et qui sont formés ont de bonnes opportunités. Cependant, ceux qui n'ont pas les moyens d'étudier, comme moi qui ai étudié grâce à des bourses d'études, n'ont aucune possibilité d'emploi décent dans la capitale. "

Juan Sanchez, directeur du marketing régional d'une société produisant des consommables pour la chirurgie mini-invasive est né et a grandi à Bogota, mais son père est originaire du Choco. Il est titulaire d’un MBA obtenu au Canada. "Je pense qu'il y a de nombreuses opportunités pour les afrocolombiens. Toutefois, il faut être bien formé, avoir un bon réseau de contacts et être disposé à travailler dur pour atteindre les objectifs. En résumé, je pense que tout est possible ", affirme Sanchez.

Académie pour les Afro

En plus du problème des possibilités d'emploi, l'accès à l'enseignement supérieur est une préoccupation sérieuse pour les Afrodescendants qui sont installés à Bogota. Dans la capitale colombienne, la plupart des étudiants proviennent d'autres régions du pays, et par conséquent, en plus de financer leurs études, leurs familles doivent également payer les frais liés au fait qu’ils vivent hors du domicile.

Cette seule contrainte contribue à ce qu’un grand nombre de bacheliers afrocolombiens soient obligés d’abandonner avant l’obtention d’un diplôme professionnel, d'entrer dans des institutions de moindre qualité ou encore à ce qu’ils ne puissent même pas accéder à une formation technique, technologique ou universitaire.

Les chiffres sur l'accès à l'enseignement supérieur des Afrodescendants africains à Bogota ne sont disponibles.

Claudia Mosquera Rosero-Labbé, originaire de Buenaventura, est professeure associée au département du Travail Social et directrice du Groupe de Recherche sur l'Égalité Raciale, la Différence Culturelle, les Conflits Environnementaux et les Racismes dans les Amériques Noires ( Idcaran), de l’Université nationale de Colombie.

Claudia Mosquera croit que, pour les Afrocolombiens, l'enseignement universitaire est le fruit de la persévérance personnelle et familiale: “Ceux d’entre nous qui possèdons ce capital éducatif illustrons les grands efforts de nos familles élargies, de nos relations familiales et de nos amis pour nous emmener là ou nous nous trouvons actuellement ”.

En plus de l'effort économique, pour Claudia Mosquera, il y a d'autres problèmes liés à la qualité de l'éducation dans d'autres régions du pays habitées par des afrodescendants :

"Le principal problème que je vois chez les étudiant(e)s noirs dans une université comme celle pour laquelle je travaille, c’est que arrivant des régions où la qualité de l’enseignement n'est pas comparable à celui d'un étudiant qui a fait ses étude à Bogota, ils présentent des difficultés prononcées dans la rédaction de textes académiques, et dans l’utilisation d’une deuxième et d’une troisième langue dans le cadre de la lecture".

Toutefois, dans la capitale du pays, certaines universités telles que Los Andes ou la Distrital ont montré l’exemple en octroyant des bourses aux bacheliers afrocolombiens ayant obtenus des résultats remarquables à l’ICFES.

Ce groupe d'étudiants présentait des situations qui ont dû être réparées très vite. Par exemple, une grande partie d’entre eux ne savait pas comment utiliser un ordinateur. On leur a donc assigné des tuteurs chargés de leur apprendre les systèmes. L’Université Distrital, a quant à elle une politique d'inclusion des étudiants noirs. Parmi les Universités officielles, il s’agit de l’Univesité à la pointe de cette initiative.

Les entrepreneurs afrocolombiens  partagent le même avis : sans éducation, il est difficile d’être compétitif pour des emplois de haute responsabilité. "Le pourcentage de ceux parmi nous qui avons accès à un bon emploi est faible, et les opportunités proviennent de notre expérience de travail et de la formation que nous avons eu", dit Alcibiade Hinestroza.

Pour sa part, Juan Sanchez déclare : “Mon conseil aux afrodescendants n’est pas quelque chose de nouveau et qui consiste essentiellement à préparer le mieux possible, autant la partie formelle de ses études que ses études supérieures, de même que dans les langues et ensuite de travailler dur et en obtenant les meilleurs résultats. Cela ouvrira de nouvelles possibilités. "

Les Afro-Colombiens vivant dans la ville ne souhaitent pas baisser les bras. Selon Claudia Mosquera : “Quand on fait partie d'un groupe ethnico-racial, on s’attend toujours à ce qu’on échoue. Si cette illusion appelée le succès se produit, il faut se demander: “Pourquoi ce succès?".

Notre tâche quotidienne consiste à démontrer que les préjugés et les stéréotypes raciaux sont de lamentables caricatures qui ne nous ressemblent pas, et nous réduisent à des personnes et des membres d'un groupe ethnique-raciale de valeur. Nous devons les faire tomber chaque jour par les pratiques quotidiennes concrètes, par la qualité de tout ce que nous faisons et que nous entreprenons ", conclut la professeure Claudia Mosquera Rosero-Labbé.

*Nom modifié à la demande de l’intéressée.

Source : _bano

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