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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
1 juin 2009

Cette diaspora noire en Colombie n'est pas latine!

Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie

Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal

 

Par Joel Assoko

C’est dans la naissance de la Colombie, dans l’histoire de son indépendance, dans ce qu’il convient d’appeler la « schizophrénie créole – au sens espagnol –» qu’il convient de chercher le germe de l’invisibilisation, de l’infantilisation des populations « noires » en Colombie. La Colombie officielle (laissons de côté les multiples noms et formes géographiques épousés avec le temps) s’est construite ainsi, laissant de côté tout ce qui, même de loin, laisserait apercevoir une influence noire dans son historiographie officielle. L’élite créole qui « dirigea » l’indépendance se définissait comme métisse (espagnole, indienne et noire) face aux Espagnols tout en revendiquant son hispanisme pour défendre ses privilèges de castes. Que l’on ne se méprenne pas : La question ‘noire’ n’a pas été oubliée tout au long de ces siècles, bien au contraire, elle a même été largement documentée. Le fait est qu’on ne se concentra que sur la justification de l’exclusion de ces populations noires. Lorsque ces dernières étaient « étudiées » ce ne fut que dans le but d’insister sur leur inhumanité ou de glorifier les personnes de phénotype occidental qui s’abaissèrent jusqu’à s’intéresser à leur sort. Cette vision paternaliste et « gentille » ne s’appesantit nullement sur les ravages de l’esclavage. Même quand les esclaves sont au cœur de l’étude, ce sont les « autres » qui en sont le centre d’intérêt.

 

Voici donc comment ces populations afrodescendantes ont été assimilées par l’historiagraphie officielle : comme étant inutiles et insignifiantes, leur part de sang dans les guerres d’indépendance minimisée, leur participation à la formation politique du pays négligée, stéréotypées, parquées dans des no-mans-land culturels et géographiques, oubliés de Dieu, du pouvoir central et des potentats locaux.

 

Et il leur est demandé de s'intégrer aujourd'hui... Après que pendant deux siècles ce pays ait nié les difficultés très spécifiques auxquelles ces populations étaient confrontées, en 1991, la Colombie devient par la magie d'une nouvelle constitution: Un pays pluriethnique et multiculturel. Et ils acceptent le fantasme de l'intégration, le même hier et aujourd'hui. S'intégrer à quoi?

  Connaissez-vous l'histoire de la négresse 'Nieves' (neige) et de son époux Hector devenu « Hetor »?

  Ce personnage caricatural contrairement à ce que laisserait penser son nom est « noire », marque de fabrique du journal el pais de Cali. Pendant trente ans, Niéves fut représentée sous les traits d'une femme de ménage, sans que cela ne choque personne, la connexion « noire » sulbaterne étant évidente, elle parlait un espagnol amoindri censé représenter l'espagnol parlé par la population noire du pays, cela ne choqua personne “ je vais voter pour M’dame soffy et M’dame leonor. Je ne vote pour aucun M’sieur ” yo voy a votar por misiá soffy(y por misiá leonor. Yo no voto por ningun senó). Ce personnage donc, tiré à moitié des Balckfaces étasuniennes et de l'iconographie européenne de l'époque coloniale fut représentée comme une insouciante et désinvolte femme de menage, parlant un pidgin hispanisant sans que personne n'y voie rien de mal, et c'est à cette société que ces populations afro-descendantes essaient de s'intégrer.

 

En 1997, Pascual Charrupí un professeur (devons-nous préciser noir?) de l'Universidad del Valle à Cali demande l’interdiction de ce qu'il considère comme un message raciste diffusé par cette caricature. Que croyez-vous qu'il arriva? L'ensemble de la presse défendit ce personnage grotesque et même les associations noires virent à sa rescousse. La revue América Negra alla jusqu’à consacrer un de ses numéros à ce personnage, revêtu de ce qui fut considéré comme des parures Akan. Durant ce procès, la créatrice de nieves se défendit de la manière suivante:“ Il y a toujours eu beaucoup de population ‘noire’ à Cali, culturellement je suis habituée à ce que les ‘noirs’ soient partout. Il y a toujours eu une employée ‘noire’ dans ma maison ”; plus loin “ j’avais besoin que quelqu’un m’aide à travailler et les personnes qui m’ont toujours aidée sont ‘noires’ ”. Encore plus loin, s'apitoyant sur le sort des populations noires installées à Bogota “ ce qui me fait de la peine ici [à Bogotá] c’est que ce qu’ils aiment c’est la chaleur, ici ce n’est pas un climat qui leur convient. Les ‘noirs’ aiment vivre à côté du fleuve ou de la mer ”. Le meilleur pour la fin “Nieves et Hétor sont noirs parce que les noirs me semblent beaux. J’ai toujours admiré leur beauté physique et leur grâce, leur sveltesse et leur aisance ”. Les fantaisies sexuelles, les clichés, les poncifs, la même vision racialisante des écrits d'un Lévy-Bruhl, d'un Gobineau sont repris ici à la fin du XXème siècle, sans que personne n’y voit de mal. Et c'est le personnage né d'un tel esprit que toute la presse colombienne décida de défendre. Et il leur faudrait s'intégrer à cette société...

  Et venons-en au plus concret: « la supposée valorisation constante de la culture ' noire ' ».  Palenque de San Basilio, village fondé par des nègres-marrons est devenu un site protégé, patrimoine mondial de l'humanité. Et il est visité comme naguère l’exposition coloniale. Et on y part voir comment ces populations ont perpétué leurs « traditions d'origine », conservé « la pureté de leur race ». « Il est essentiel ici de penser clair, de voir clair, entendre dangereusement ». Il n'y aucun compliment sous l'idée de la « préservation de la pureté de leur race », bien au contraire, il faut y voir un message venant des élites blanches du pays. Celles-ci ne peuvent ouvertement, sans être traitées de racistes, défendre la pureté de leur ascendance européenne, en remerciant les autres de défendre la leur, on se félicite plus ou moins ouvertement que le marché soit compris, chacun chez soi et les vaches sont bien gardées.

La constitution de 1991 prévoit que des chaires d'études africaines soient créées dans les principales universités, très peu de ces dernières se sentent pressées de se conformer à la loi. Ce qui n'empêche personne tous les 21 mai (jour de l’afrocolombianité) de se fendre d'un article larmoyant et insupportable sur la situation des populations noires de Colombie, désormais désignées comme afro-descendantes. Ce terme assez malheureux est pourtant le meilleur qui fut trouvé. Personne n'a jamais pensé à désigner l'élite créole comme Européo-descendante, cela est du domaine de l'évidence, ces élites qui se reproduisent entre-elles, qui s'épousent entre-elles sont le modèle, la norme. Ces élites qui sont aujourd’hui prêtes à ouvrir leur table à ces populations noires mais préféreraient encore la mort à la honte d’une descendance métisse. C'est à cette société que les populations afro-colombiennes sont censées s'intégrer.

 

Et tout le monde s'est félicité qu'un premier général noir soit nommé en Colombie. Tandis que dans le même temps trois des leaders les plus recherchés de la guerrila des farcs etaient afro-colombiens. Cette guerrilla sanguinaire et monstrueuse qui se soucie comme d'une guigne du Droit International Humanitaire, n'a pas attendu la pression du politiquement correct pour privilégier l'efficacité sur la couleur de peau. Et c'est à cette société qu'il faut qu'ils s'intègrent. Une société qui se montre moins ouverte que ses tortionnaires ne mérite ni compassion ni indulgence.

 

Et tout le monde s’est réjouit qu’une noire soit élue « Miss Colombie ». Et tout le monde s’est extasié devant son intelligence comme s’il y avait eu un antagonisme surmonté. Noire mais belle, un retour au cantique des cantiques. Noire, belle et intelligente. Et tout le monde s’est apitoyée sur le sort de sa région d’origine, la plus « noire » du pays, la plus pauvre aussi. Noire, belle, intelligente et pauvre en plus, la Colombie avait trouvé sa cendrillon d’ébène. Et les commentaires qui suivirent… Elle n’était que noire, sa seule différence physique. En tous autres points, semblable parût-il à l’époque, aux autres candidates, dans sa plastique, les lèvres, le front, le nez, les hanches.

 

La colombie est métisse pour sûr, métisse mais bien séparée. Les noirs depuis trois siècles vivent plus ou  moins dans les mêmes endroits, les viols de naguère ont cessé certainement, mais est-ce normal qu'un marriage mixte soit vu comme le signe d'une ouverture d'esprit, presqu'une indulgence de la part du partenaire non-noir? L'exemple de Carthagène, mise en avant comme la ville métisse par exellence est ici le coup le plus terrible porté à cette chimère. Les remparts de la ville construits jadis contre les envahisseurs ont la même efficacité aujourd'hui, séparer les quartiers pauvres, entendez « noirs » du coeur de la ville elle-même blanche et métisse.

 

En y pensant bien, la faute n’est même pas à rejeter sur la société colombienne, mais plutôt sur ces populations noires. Celles-ci ont adopté les clichés qu’on essayait de leur imposer. Il ne s’agit nullement ici d’un racisme primaire et somme toute intelligible puisque clair et œuvrant à visage découvert, mais d’un racisme gentil et accepté.  Toute position contraire à celle-ci est fallacieuse : La Colombie est un pays où l’identité la plus forte est à fleur de peau.

 

Hélas, la révolte semble avoir cédé le pas à la requête, le poing à la sébile, et les leaders de ces communautés quémandent des droits qu’ils devraient exiger, par la parole, par le feu et le sang s’il le fallait. Et ils reçoivent des broutilles : discours et bourses d’études, prend-ça et ferme-la. Rien n’a été cédé sur leur appartenance et participation pleines à l’histoire de ce pays (l’histoire tragique de Juan José Nieto Gil premier président « noir » de la Colombie en 1861, gommé de l’historiographie officielle), isolées dans des ghettos à la périphérie des grandes villes ou dans des régions oubliées, livrées aux rebelles qui bombardent leurs églises, la discrimination positive à leur endroit regardée comme suspecte et illégitime, conditions de travail misérables dans des champs de canne à sucre, pourtant aucune violence, aucune colère : marches, grèves et simples protestations. Lorsqu’un groupe, n’importe lequel, ne sait pas exiger ce qui lui est dû et se contente de droits surabondamment inutiles proclamés dans une constitution inappliquée, il est normal qu’il soit relégué à la périphérie. On aurait tort de s’apitoyer sur le sort des populations afrocolombiennes, elles ne le méritent pas ; ceux-là qui s’évitent dans la rue comme s’ils allaient se transmettre la gale ou se regroupent instinctivement comme des enfants apeurés préférant le repli communautaire à l’exigence claire et légitime d’un droit à l’invisible différence ne méritent que quolibets et mépris.

 

Il n’y aura pour elles ni Espagne comme mère-patrie, ni la prééminence sur le sol colombien comme lien transcendant, perdues au milieu de ce monde qui ne veut pas être le leur, leurs cultures d’origines vouées à n’être qu’objets de curiosité historique ou simple confirmation de leur prédilection pour la danse et le chant, leurs religions éteintes ou exotisées, leur attachement au christianisme acquis au prix d’un reniement brutal du passé de cette « secte qui a réussi », ravalées au rang de laquais et larbins dont on apprécie la clairvoyance (telle est, semble-t-il l’origine du succès de ‘nieves’) mais qu’on préfère loin de ses quartiers, que l’on ne souhaite pas voir dans ses piscines, voilà le sort des populations noires de Colombie.

 

Et elles seraient « latines » ces populations ?

              Les informations qui ont permis la rédaction de ce paragraphe peuvent être retrouvées ici : http://www.loc.gov/exhibits/african/afam002.html consulté et reproduit en version pdf le 10 janvier 2009 (sur l’ACS et la naissance du Libéria) ; http://www.africa-onweb.com/pays/liberia/histoire.htm  consulté et reproduit en version pdf le 03 Février 2009 (sur l’exploitation économique et les restrictions des droits civiques des autochtones)

              Les analyses faites ici sont de la seule responsabilité de l’auteur, les données quant à elles proviennent en large partie de l’article « El negro, de una invisibilidad a otra: permanencia de un racismo que no quiere decir su nombre » publié dans Palobra, Universidad de Cartagena, n° 5, agosto 2003 par Elisabeth Cunin de l’IRD

              Se reporter à l’histoire de La historia de San Pedro Claver, “esclavo de los esclavos”, développée dans l’article d’Elisabeth Cunin susmentionné.

              Idem

http://joel.assoko.over-blog.fr/

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Commentaires
L
Je suis colombienne de la capitale et en lisant cet article j'y vois tout à fait mon pays refleté.Le problème de la société colombienne c'est qu'il s'agit d'une société hypocrite qui se dit , comme le Brésil être multiculturelle.Mais le problème c'est que l'intégration ne s'est pas faite parceque le colombien garde dans sa tête cette hiérarchie issue de la colonisation , ce qui veut dire que tout ce qui est blanc et européen est le meilleur et les noirs et les indiens sont les pires.Je me rapelle avoir fait une exposition dans ma classe en première dans cette école élitiste qu'est le lycée française de bogota .Il s'agissait de montrer comment s'exprimait le racisme en Colombie.A ma grande surprise, les élèves se sont révoltés en disant que les noirs étaient très bien intégrés dans tous les aspects du pays, que les zones où ils habitaient étaient développées aussi bien que la capitale, qu'ils avaient aussi des travails dans lesquels ils gagnaient très bien leur vie.Et le débat a aboutti à "Le racisme en colombie n'existe pas".C'est une façon très conformiste pour cette élite de se voiler les yeux et de se réclamer noirs d'origine aussi.Bien sûr, en ce qui concerne la musique, tout le monde est noir, tout le monde se réclame "afro-colombien".Nous avons même posé la question "qui d'entre vous se marierait avec un noir" et seulement deux personnes dans une classe de 30 ont levé la main.<br /> Tant que la population colombienne ne se révolte pas contre ces bases colonisatrices qui régissent la société , les noirs colombiens resteront toujours à l'écart et destinés à vivre dans la précarité.Je ne suis pas comme les autres colombiens qui se réclament multiculturels.Le vrai métissage comme celui que l'on voit au Brésil n'existe pas.Au moins pas dans la capitale où en quelque sorte l'élite est concentrée.<br /> Le seul problème c'est la grande hypocrisie , parceque tout d'un coup être noir c'est bien, c'est exotique et alors tout le monde veut être le plus noir en montrant qu'il sait danser les rythmes africains, qu'il s'habille exotiquement.
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