Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
3 juin 2011

Alfonso Múnera : " Le racisme est une conséquence de l'esclavage, une des plus perverses "

Par Garavito Rodríguez César / spécial pour El Espectador


Le débat s'ouvre sur les réparations aux communautés noires et les études sur les esclaves et leurs descendants dans la construction de la nation. Entretien avec l'historien Alfonso Múnera.


Munera

Même dans un pays dépourvu de mémoire, on est surpris par le silence de cimetière qui règne sur une des expériences fondamentales de la société colombienne: l'esclavage de dizaines de milliers de personnes emmenées de force en tant que marchandise, de la côte ouest de l'Afrique.


Mis à part de rares notions dans les manuels scolaires, il y a peu de traces dans la conscience collective de l'origine d'au moins cinq millions de citoyens qui se reconnaissent comme  afrodescendants, ou de la place centrale de Cartagena dans l’envol du commerce transatlantique. Ce commerce qui a conduit à la déportation forcée de 12,5 millions d'Africains vers les Amériques pendant 366 années et qui constitue "un des crimes contre l'humanité les plus importants de l'histoire", comme en a récemment conclu l'historien David Brion.

 Le résultat ne se limite pas seulement au manque de données historiques fondamentales. Il y a aussi l'absence d'un débat ouvert sur les effets actuels de l'héritage de l'esclavage. Heureusement, la situation semble être en train de changer. Les études internationales offrent un panorama plus complet, comme celui de la base mondiale de données sur cette thématique qui a mené à la publication récente de l'Atlas du commerce transatlantique des esclaves (slavevoyages.org).


L'ONU a déclaré le 25 Mars, Journée Mondiale des Victimes de l'Esclavage. En Colombie commence le débat qui a eu lieu dans d'autres pays sur les réparations en faveur des afrodescendants, comme le démontre l'important travail accompli par Claudia Mosquera et Luiz Barcelos (Afrorreparaciones), qui s’ajoute à un nombre croissant d'études sur l'histoire afrocolombiennes. Parmi eux se distinguent les travaux d’Alfonso Munera, historien et vice-recteur de l'Université de Cartagena. Ses livres Fronteras imaginadas et El fracaso de la nación sont des études pionnières reconnues sur les esclaves et leurs descendants dans la construction de la nation.

 

César G. Rodriguez : Pourquoi parler de l'esclavage aujourd'hui?

 


Alfonso Munera
: Partout, il y a ceux qui disent que regarder le passé est une façon de mettre des obstacles au progrès. Je me souviens de la réponse du philosophe Jürgen Habermas dans le débat allemand sur l'héritage du fascisme hitlérien. Il disait que ces moments terriblement traumatisants qui marquent l'histoire d'un peuple ne peuvent pas être dépassés en les oubliant simplement. Dans notre cas, l'esclavage est un de ces traumatismes fondamentaux. Il faut évaluer et diffuser les circonstances et les expériences historiques, parce que ce n'est que dans la mesure où certaines vérités deviennent collectives que l’on arrive effectivement à commencer à dépasser ces traumatismes.


Le traumatisme fondamental de l'esclavage continue de peser de manière accablante sur des milliers et des milliers d'êtres humains, réduits à un statut inférieur, auxquels on a dénié des opportunités et qu'on a placé dans des circonstances d'immense désavantage. Il faut commencer par cette reconnaissance parce que ce traumatisme est à l'origine de la marginalisation, de l'exclusion et de la misère de la grande majorité des afrocolombiens.

 

 

CRG: Quels effets l'héritage de l'esclavage a de nos jours?


AM: Le fait que l'esclavage ait duré pendant plus de trois siècles a généré une manière de se sentir, une façon de penser, d'imaginer les relations entre les êtres humains, des valeurs, des systèmes de hiérarchie. L'héritage que cela nous a laissé est ce sentiment et cette rationalisation des esclaves et de  leurs descendants, qui était marqué par le fait de les considérer comme des êtres inférieurs. Je pense que nous portons encore ce terrible fardeau.

Mais  la migration forcée, inhumaine, des centaines de milliers de gens qui sont venus sur nos côtes a également été une influence décisive sur d'autres domaines profondément positifs. Personne ne peut nier que la culture colombienne est marquée par la richesse de la diversité, dans laquelle la contribution des Africains et leurs descendants a été définitive. Pas seulement la musique et la danse. Je veux parler d'autres choses aussi profondes  et qui ont exercé un effet très bénéfique: les visions du monde des Africains, leur manière particulière de comprendre les relations humaines, tout ce bagage culturel diffusé.


CRG: Que signifie l'esclavage dans l'histoire colombienne?


AM: Il a signifié la vie d'un système de travail, des relations de vie et une culture qui a dominé la vie coloniale et s'est prolongée jusqu'au milieu du 19ème siècle.


On oublie parfois la vérité élémentaire qui est que l'économie coloniale a été soutenue principalement par les épaules des travailleurs esclaves. Non seulement dans l'exploitation des mines d'or et d'argent, qui étaient la base de cette économie, mais aussi dans les grandes haciendas, autant de sucre que d'élevage, ou dans le transport par la  route principale qu’était la Magdalena. L'esclavage n'a pas été un événement accidentel, ni mineur, il a été au centre même de la vie des Colombiens de l'époque.

 

 

CRG: Existe-t-il une quelconque relation entre l'oubli collectif de l'esclavage et l'opinion selon laquelle en Colombie le racisme n'existe pas?

 

AM: Il y a toujours eu un débat sur ce qui est arrivé en premier,  l'esclavage ou le racisme. Je pense que nous savons clairement aujourd'hui que le racisme est une conséquence de l'esclavage, une des plus perverses. Ce qu'il y a c'est que, en Colombie s'est construit avec succès une idéologie, des personnes imaginatives qui cherchaient à nous convaincre que le projet du métissage avait créé la base solide de la nation. Derrière cela, se cachaient les pratiques discriminatoires et profondément racistes contre les Noirs et les Indigènes. C'est ainsi qu'est née cette espèce de sens commun, selon lequel le racisme n'avait pas existé en Colombie, ou que nous avions connu un racisme plus indulgent, comme s'il y avait des racismes  plus indulgents que les autres. Donc,  quand on pose le problème du racisme, et quand on propose des actions affirmatives et réparatrices de cette expérience perverse que fut l'esclavage, survient la critique selon laquelle ce que nous faisons, c'est imiter l'expérience des pays comme les États-Unis.

 


CRG: Les plans d'accès à l'éducation et à d'autres espaces en faveur des afrocolombiens font-il défaut?


AM: Dans le débat sur les actions affirmatives, il manque une compréhension de la manière dont fonctionnent certains phénomènes historiques. Les dégâts de l'esclavage n'ont pas pris fin avec la loi d'abolition de 1851. Ce serait une façon assez mécanique d'interpréter l'histoire, et de fait  anhistorique. La loi n'a pas fait disparaître les effets de l'esclavage. De plus,  l'État n'a presque rien fait pour les secteurs qui en avaient souffert bénéficient de processus rapides d'inclusion et de progrès dans la Colombie du 19ème et des 20 ème siècles.

 

 Face à cela, certains répliquent qu'il y a eu des Noirs qui ont réussi à étudier et que quand les gens font des efforts, ils avancent. Mais il s'agit d'un argument fallacieux, car il transforme l'exception en règle. Ce qui est démontré par le fait que très peu l'ont fait, et c'est précisément parce qu'il y a eu certaines structures qui ont empêché que beaucoup d'autres puissent le faire. Ces structures sont héritées de l'esclavage, et n'ont pas changé avec la République ou avec la loi qui a aboli l'esclavage, mais elles sont restées en place en consolidant en plus les circonstances défavorables dans lesquelles continuent de vivre ces communautés.

 

CRG: Quel message l'héritage culturel africain renvoie-t-il à la réalité colombienne d'aujourd'hui?


AM: Il ya un bel article de Manuel Zapata Olivella, dans lequel il disait quelque chose pour réfléchir sur cette période de recrudescence de la criminalité en Colombie: que les peuples africains, emmenés en Amérique en tant qu'esclaves ont amené avec eux une vision du monde de profonde harmonie de l'être humain avec la nature, avec les autres êtres humains et avec les morts.

 

C'est la vision du monde évidente dans les valeurs communautaires d'endroits comme Palenque, ou de nombreuses communautés du Pacifique. Ou comme à Cartagena que je connaissais, où le crime violent était exceptionnel. Cela s'est perdu progressivement  et il faudrait le retrouver. Un autre exemple, c'est la danse, que l'ont a transformé en folklore jusqu'à l'extrême, mais qui a un rôle fondamental dans la construction des relations humaines, dans le développement de ce que quelqu'un  appelait "l'intelligence du corps." C'est pareil pour la musique et la cuisine colombiennes auxquelles les africains ont tellement apporté. En bref, beaucoup de choses qui sont là, et n'attendent que d'être  percées et récupérées.
 * Coordinateur de l'Observatoire sur la discrimination raciale (www.odracial.org).


21 mai, Journée de l'afrocolombianité


Comme chaque année,  le 21 mai est célébrée la Journée de l'Afrocolombianité avec des événements à travers le pays. Mais on en sait peu sur le sens historique de cette date. Ce qui explique cette commémoration c'est l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage, ordonnée par la Loi 2 du 21 mai 1851.

 

Les chiffres de l'esclavage


Selon Alfonso Munera, "les études sur l'esclavage en Colombie ne font que commencer." Par conséquent, les chiffres sont incomplets et ne permettent que de donner un aperçu de l'ampleur du phénomène. On sait que le premier navire du commerce négrier qui a fait escale à Carthagène était l'espagnol Santa Maria de Guia, qui en 1549 est arrivé au port avec les 166 survivants d'un groupe qui comptait au départ 224 Africains soumis à la torture de Voyage transatlantique.


Enriqueta Vila a calculé que, entre 1595 et 1640, les commerçants portugais ont emmené de force à Cartagena entre  125.000 et 150 00  esclaves. Certains sont restés sur le territoire actuel de la Colombie, tandis que d'autres ont continué le voyage pour être vendus au Pérou. Selon German Colmenares, environ 925.000 personnes ont été amenés comme esclaves en Amérique espagnole entre 1521 et 1807.

 

Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com/

Publicité
Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 819 114
Publicité
Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
Derniers commentaires
Archives
Publicité