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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
23 juin 2011

Sans race, une histoire de bullying à l’école

 

Réflexion autour de 2011 : Année Internationale des Afrodescendants

Par Yolanda Arroyo Pizarro*

 

yolanda

À huit ans, j’étais déjà astucieuse. Je savais déjà, à ce moment, que pendant la récréation, pour éviter que mes camarades de classe ne plaisantent sur mes cheveux et ma couleur, je devais aller dans les  toilettes et y prendre mon goûter, écrire, parler à mon ami imaginaire, rire, répéter les poèmes appris en classe, réviser l'examen de sciences et  me mettre l’inhalateur Albuterol contre l’asthme. J’ai appris à voir mon monde, enfermée dans les toilettes du Colegio San Vicente Ferrer ; j’ai passé de nombreuses années à faire de cet endroit mon refuge.                                                                                             

Je savais aussi que, une fois assise en classe, s’il arrivait à la maîtresse de mentionner le mot ‘África’, je devais dissimuler le stoïcisme et assumer l’attitude qui disait que je m’en fiche, pour ainsi éviter la réaction toujours attendue d’Éliseo ou de José Manuel ou de toute autre personne qui s’associait au harcèlement en évitant d’être lui-même l’objet de l’attention. Le cri cocasse ne manquait jamais, qui proclamait, Yolanda, Africana ! (Yolande, Africaine), tandis que l’enseignante grondait à cause du chahut et tentait d’appliquer les politiques d’intimidation non encore inventées en 1978 (des enfants silencieux, qui respectent les autres, Dieu le père châtie sans bâton ni fouet).

 

Chaque nuit, je récitais en langue catholique pour que les vierges patronnes de tous les pays et les saints-martyrs de tous les conciles, conclaves et de toutes les autres herbes apostoliques romaines inventées résolvent mon prédicament.

 

Celui qui, par erreur et par la volonté de Dieu lui-même, m’avait collé au corps à la naissance : ma noirceur. Chaque nuit, je priais pour me réveiller blanche le lendemain. Chaque fois la demande échouait et le mensonge selon lequel «tout est donné à celui qui demande avec foi» devenait manifeste. Chaque matin, j’étais de nouveau noire.


Je n'ai jamais été protagoniste, j’ai toujours vécu à devoir m’ajuster, à devoir surpasser quelque chose, résiliente. À démontrer, histrionique, que je n’étais pas affectée quand les garçons raillaient les fils de barbelés sur ma tête, ou prétendaient que j'étais Méduse et que quelqu’un s’était coupé la main ensanglantée de ketchup juste en touchant mes cheveux. Puis venait la dispute pour enlever le ketchup de mes cheveux, ou le chewing-gum expérimental que le plus courageux y avait collé.

 

Ne pas savoir comment traiter mes boucles ou mon afro qui avait repoussé, par la suite converti en un volume relâché et malléable après l'imposition de produits chimiques ardents, n’allait pas résoudre le problème, mais plutôt l’empirer.


Grand-mère, pour me calmer, me racontait que j’étais née blanche, blonde et que par son inattention, alors qu’elle essayait de me faire dormir dans son giron, j'avais glissé et j’étais tombée dans une tasse de café. C’était une belle histoire, qui m'a réconforté, mais qui ne cadrait pas avec ma réalité une fois que j'ai dû me mettre à l’œuvre pour aller à la conquête de l'homme blanc, blond, qui me correspondait par décret divin, au nom de l'amélioration de la race. Avec cet objectif en tête, my own Quest for Camelot, j'entreprenais d’essayer de coloniserle cœur de l'homme blanc (il y en eu sept tout au long de ma vie), et à expliquer à ses parents, pourquoi je le méritais et pourquoi eux me méritaient.

Trente ans plus tard, j'ai toujours le sentiment que cette fable-très pauvre, mensongère, pieuse, a déterminé ma vie et ce que je suis aujourd'hui. Peut-être que c'est pour cela qu’en m’asseyant pour écrire, je ne me sens pas tout à fait la noire que je devrais être, ou tout à fait la blanche que je devrais être, ou tout à fait la femme que je devrais être, ou tout à fait l’humaine que je devrais être. Il manque quelque chose, je me perçois comme étant d’une autre planète. C’est peut-être grâce à, ou à cause de cette marque, qu’aujourd'hui je me sens fière de mes racines, mais trahie, fière de mes ancêtres, mais abandonnée, fière d'avoir découvert être une descendante de marrons, de combattants, de réformateurs, mais triste. Désorientée, pas tout à fait confortée. Sans race.

 

*Yolanda Arroyo Pizarro est romancière, conteuse, essayiste née à Guaynabo au Porto-Rico.

Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com

 

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