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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
4 avril 2009

Professeur Donn Davis : “Obama ne peut pas être le porte parole des noirs”

Foto: Tana CardosoProfesseur associé et directeur de Post-Graduation du Département de Sciences Politique de la Howard University, en visite au Brésil, il a participé au panel “Dialogue sur le racisme dans le Judiciaire», organisé par le Ministère de la Justice et il a  donné une conférence à la Faculté de Droit de l’UnB. Davis place la lutte contre le racisme comme point directeur du débat sur l’égalité raciale et les politiques publiques au Brésil.

Par Isabel Clavelin* 

Donn G. Davis est spécialiste et chercheur en droit constitutionnel, en processus législatif et judiciaire, en idéologie politique, en droit des sociétés afro-américaines et démocratie,et en droits humains dans les sociétés postcoloniales.  Sa recherche actuelle se focalise sur les questions relatives à l’impact des politiques sociales réparatrices dans la période postérieure au Mouvement des Droits Civiques et au débat sur les actions affirmatives aux États-Unis dans une perspective comparée au Brésil, à la Malaisie et à l’Afrique du Sud.

Entre 1995 et 2001, Davis fut directeur Législatif Senior et Conseiller du Congressional Black Caucus – commission du Congrès des États-Unis qui agit pour la défense des intérêts des populations afro-américaines et qui agit dans les campagnes législatives en faveur des droits humains et civils. À ce poste, il a élaboré des recherches et des analyses, rédigé des propositions de loi, organisé des audiences législatives, développé et supervisé des programmes de services pour les électeurs.

Il est l’auteur de trois monographies pour le Congrès des États-Unis et de près de 50 articles publiés dans les périodiques spécialisés, les annales de conférences académique, et sous forme de chapitres de livre. Il a reçu divers prix et distinctions. Il se consacre actuellement à deux livres en phase d’édition : American Political Leadership, Ideology, Culture and Recent History” et “Equalizing the Global Playing Field: A Comparative Assessment of Affirmative Action in Brazil, Malaysia, South Africa and the United States”.

Donn Davis a accordé une interview fascinante à Ìrohìn, à la Faculté de Droit de l’UnB (Université de Brasília) la semaine dernière avant sa conférence intitulée “Le racisme dans le Judiciaire: l’expérience des États-Unis”. Il s’agissait du dernier engagement de Davis au Brésil, dont la mission a débuté le 26 mars dans le panel “Dialogue sur le Racisme dans le Judiciaire”, organisé par le Ministère de la Justice.

Dans l’interview, Donn Davis indique les questions centrales pour le Brésil et le militantisme noir ; l’action de l’État brésilien pour combattre le racisme et la réalisation du principe d’égalité et l’autonomie du mouvement social pour maintenir un engagement et la critique nécessaire contre le système qui empêche les droits de citoyens de la population noire. Davis note la faible représentativité des noirs dans les espaces de pouvoir, particulièrement dans le judiciaire, ainsi que l’usage fallacieux de l’égalité comme subterfuge argumentatif pour rejeter les quotas et les politiques d’actions affirmatives.

Plus enthousiaste que lors de sa première visite au Brésil en 2002, Davis constate une avancée dans le débat sur le racisme et la discrimination raciale au Brésil. Il déclare également sa “fierté que l’ambassade des États-Unis ait décidé de s’approcher des organisations sociales brésiliennes. C’est quelque chose qui remplit mon cœur de fierté”.

Foto: Tana CardosoÌrohìn – Quel est l’impact des politiques réparatrices et des actions affirmatives post-Droits Civils aux États-Unis? Que pensez-vous du résultat de ces politiques, et le président Obama en est-il le résultat?

Donn Davis – Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour l’invitation que vous m’avez faite d’être ici. Je suis très reconnaissant pour cette invitation et heureux de savoir l’intérêt d’Ìrohìn et son point de vue. Je suis disposé à partager avec vos lecteurs. Je suis heureux de l’existence d’Ìrohìn et je vais essayer d’accompagner la version en ligne du journal. Je suis reconnaissant du fait d’être ici comme le début de ce que je vois comme un mouvement émergent et grandissant au Brésil, qui reflète le développement d’une conscience plus intense que ce que j’ai pu voir au cours de ma première visite en 2002. Quand je suis venu au Brésil pour la première fois, j’ai entrevu la nécessité d’un mouvement de masse qui soulèverait la question du racisme, et la nécessité pour l’État brésilien de prendre au sérieux les conditions d’émergence des différents groupes ethniques et raciaux du pays par le biais du développement de politiques d’actions affirmatives ayant des résultats. Cela devait mener à l’allègement de certaines conditions de négation que j’avais perçu lors de ma première visite. Mais j’avais été très découragé à cette époque, car je pensais que le Brésil pouvait utiliser le mouvement de masse, comme nous l’avions fait aux États-Unis, et il ne le faisait pas.

Ìrohìn – Quelles différences percevez-vous entre le Brésil et les États-Unis, en partant de la perspective de la lutte contre le racisme?

Donn Davis – Ce serait extrêmement difficile, et peut-être impossible de le faire ici au Brésil, à cause du mélange, disons, des identités dans ce pays, des quatre divisions principales que l’on retrouve dans la population. Cela ne laisse aux gens qu’une capacité réduite de découvrir une conscience noire intense,  ce qui a mené au développement de notre mouvement de masse aux États-Unis. Je crois que cela est lié à notre lutte aux États-Unis qui est née d’une condition de ségrégation absolue. Il n y avait pas la moindre possibilité de s’imaginer une autre situation que celle d’une lutte contre le système que la ségrégation américaine a mis en place par le biais d’une construction sociale qui frôlait l’absurde tout au long de la première moitié du 20ème siècle et du dernier quart du 19ème. On ne pouvait pas dire je suis noir ou je suis métisse. C’était un système qui confinait les groupes de populations. Il créait des conditions pour qu’il n y ait aucune autre alternative que la lutte contre le système. Ce que j’avais perçu au Brésil était une situation dans laquelle beaucoup d’individus, du moins je l’imaginais, avaient la possibilité de prendre part à la lutte, car la condition dans laquelle la population non blanche se trouvait était horrible. On pouvait s’imaginer qu’il était possible d’avoir une mobilisation de la société pour mettre fin à cette situation.

Ìrohìn – La lutte contre le racisme aux États-Unis découlait-elle du racisme explicite du pouvoir législatif et des relations sociales entre noirs et blancs?

Donn Davis – Aux États-Unis, on n’avait pas cette possibilité d’échapper à la ségrégation, on ne pouvait que lutter contre le racisme. Il y avait une définition raciale et des restrictions légales qui disaient expressément “si vous avez une goutte de sang noire – on se foutait bien de savoir à quel point vous pouviez être blanc-, vous êtes noir”. Et il n y avait pas le moindre de degré ou la moindre espèce de contestation possible de cette condition. Par conséquent, la seule possibilité était de lutter.

Ìrohìn Qu’en est-il du débat racial aux États-Unis aujourd’hui? L’élection du président Obama remet-il le sujet en lumière?

Donn Davis – L’élection d’Obama est un encouragement pour beaucoup d’entre nous. Nous sommes fiers qu’un homme noir soit enfin élu à la présidence des États-Unis. Mais nous n’avons pas une attente exagérée de l’administration de Barack Obama. Une des choses qui est apparue comme résultat de notre lutte c’est la formation d’activistes sociaux et politiques, élus ou qui intégreront l’administration du président Obama. C’est une bonne chose d’une part, mais le mauvais côté c’est que, une fois que vous devenez préfet, sénateur ou que vous obtenez n’importe quel poste au gouvernement, votre action devient restreinte. Obama ne peut pas maintenant représenter les intérêts des noirs. Il est président des États-Unis. Au cours de sa campagne présidentielle, il a délibérément éliminé toute allusion à la race. Excepté une fois où il a dû aborder la thématique raciale. Il s’est agi d’un effort calculé de ne pas parler de la race, car elle ne constituait pas un élément de succès dans sa route vers la présidence. La politique pratique montre qu’il avait raison. Mais en tant que président des États-Unis, il ne peut pas être le leader de l’activité de protestation. Il ne peut pas être le porte parole des noirs, des actions affirmatives, des réserves d’opportunité d’emploi. Il doit être le président de l’ensemble des 300 millions d’Américains. Il a réussi à faire élire 46 membres du Congrès, chacun desquels est à présent membre du Congrès des États-Unis représentant les intérêts d’un district, d’un groupe de leaders. Mais ils n’ont pas la liberté de ne représenter que l’Amérique noire, ils n’ont plus cette possibilité. D’autre part, quand vous n’êtes pas élu ou vous n’occupez pas une charge (représentative), vous avez la liberté de faire des demandes à l’État, de protester, de mener, de critiquer et de faire des commentaires. En général, il est libre de s’engager contre le système de manière active.

Ìrohìn – Que pensez-vous de la trajectoire de Barack Obama?

Donn Davis – L’image d’Obama est davantage exaltée dans sa perception. Nous sommes fiers du fait qu’il occupe la présidence. Nous aimons sa femme qui est noire et nous adorons ses deux filles qui sont noires. J’encourage mes étudiants à lire les deux livres de   Barack Obama. Ils peuvent y percevoir à quel point il nous ressemble, mais il n’est pas l’un des nôtres. Il est le produit d’une expérience publique, une expérience politique. Sa mère était une blanche de la classe moyenne américaine, du Kansas au centre du pays. Et son père est Kényan. La formation d’Obama s’est déroulée entre Hawaï, l’Indonésie et, jusqu’à un certain point aux États-Unis. On peut donc dire dans une certaine mesure, il connait la condition noire, car il est traité comme un noir. Il est vu comme une personne noire. Mais dans sa propre conscience, il n’est pas un homme noir de l’Alabama, de Caroline du Sud, du Texas, de Géorgie ou de Californie. Son expérience est qualitativement différente.

Írohìn – De quelle manière les activistes noirs considèrent le fait que Barack Obama soit le premier président noir des États-Unis?

Donn Davis – On doit se rappeler que nous sommes très fiers de son élection et de sa position, mais il y a une distinction qui doit être faite. Il y a des choses que nous ne pouvons pas espérer de lui. Nous sommes fiers, mais en même temps, nous ne devons pas exagérer la fierté que nous procure son élection. La réalité est qu’Obama ne peut pas faire certaines choses. Il aurait pu faire plus pour la communauté noire quand il était sénateur qu’il ne le peut en tant que président. En tant que sénateur, il avait également des limites, mais comme président il ne le peut pas. Cela revient à individualiser un groupe au sein de la population. Nous sommes heureux de son élection. Mais certains d’entre nous perçoivent les limites des attentes. Peut-être qu’un jour nous devrons protester contre Obama, parce qu’il est le président. Mas il y a des questions pour lesquelles il faut un leadership présidentiel. Obama est un président progressiste. Il était en faveur du droit pour les femmes de faire le choix d’avorter, il est en faveur des actions affirmatives. Il garde une vision sociale progressiste. Nous espérons qu’il sera un leader de grande valeur pour la communauté noire. Mais, indépendamment de vous et de moi, il ne peut pas faire cela directement.

Ìrohìn – Je voudrais maintenant vous poser une question liée au contexte de votre mission. Au Brésil, l’égalité est un principe constitutionnel. Toutefois, la réalisation de l’égalité et la lutte contre le racisme font apparaitre davantage de barrières dans l’élaboration et l’exécution de politiques publiques qu’au sein de la société même. Cette situation est perceptible dans les trois sphères de pouvoir : le Législatif, Judiciaire et Exécutif. En tant que spécialiste du sujet quel est votre impression de ce point de vue?

Donn Davis – De nombreuses garanties existent dans la Constitution Brésilienne. J’ai perçu dans les paroles d’un juge une des raisons pour lesquelles les garanties constitutionnelles ne sont pas appliquées au Brésil. Il est venu à cette conférence [Diálogo sobre Racismo no Judiciário”, promovido pelo Ministério da Justiça] en tant qu’invité. Mais il n y a rien à débattre ici, étant donné qu’il n’y  pas de racisme au Brésil. Voilà une personne qui est dans un état de haute négation de la réalité empirique que nous connaissons. Je sais que le Pouvoir Judiciaire ne comprend que 1,7% de juges afro-brésiliens. Une chose que nous faisons aux États-Unis, c’est que nous avons des élections des juges pour déterminer les personnes qui occuperont les postes. Cela fait que plusieurs leaders et autorités politiques – des préfets, des gouverneurs, des conseillers municipaux et d’autres -, constituent des commissions de cinq personnes d’une localité déterminée en plus de trois autres venant d’ailleurs. Le groupe étudie la qualification avant de désigner la personne désignée pour le Judiciaire. La commission fait un effort spécial de faire des désignations qualifiées et qui représentent les groupes  de populations. Obama a nommé cette semaine [la semaine dernière quand a eu lieu l’entrevue]: une femme latine et un homme asiatique, car ils n’étaient pas représentés dans le Pouvoir Judiciaire quand les nominations avaient été faites. Mais nous ne voulons pas que ce processus sacrifie l’excellence de deux personnes comme celles là. Il y a déjà eu des personnes d’un excellent niveau, mais qui n’ont pas été proposées pour un poste au niveau de notre supérieur du pouvoir Judiciaire. C’est la même chose au niveau du district – capitale du pays (Washington D.C). Le président des États-Unis nomme, mais auparavant, il discute avec les autorités locales et la commission locale pour être certain qu’il nomme des personnes extrêmement dévouées. Un des facteurs de sa décision est basé sur le besoin de maintenir le niveau de compétence de ces personnes qui vont effectuer les jugements. Cela confère de la confiance au système, car la personne a le pouvoir de juger qui es coupable ou innocent. Il faut rappeler que cette personne a des positionnements qui lui sont propres face à la situation déterminée.

Írohìn – Que pensez-vous en tant que spécialiste des sciences politique et juridique du Judiciaire brésilien du point de vue de la question raciale?

Donn Davis – Selon moi, les décisions du Pouvoir Judiciaire brésilien seront plus justes lorsque le choix des juges reflétera la représentativité de la population. Je suis très encouragé par ce que j’ai vu du Brésil de 2002 par rapport à maintenant [2009, sa seconde visite au Brésil]. Je suis extrêmement satisfait de ce que j’ai vu. Je suis très enthousiaste, car il y a eu du progrès. Lors de ma première visite au Brésil, j’ai pensé que les brésiliens étaient absolument réticents, ils ne voulaient même pas débattre de ce sujet. Aujourd’hui, je constate que le mouvement de la conscience noire se développe et les organisations se renforcent pour discuter de cette question et exiger de l’État brésilien la reconnaissance de la violence raciale et de l’existence de la discrimination. Et reconnaitre, au-delà de toute chose , la nécessité de créer des politiques et des circonstances dans lesquelles le gouvernement fait le nécessaire pour faire avancer les services pour ces secteurs de la population qui furent exclus. Celui qui me dit que le racisme et la discrimination n’existent pas est la même personne qui se montre inquiète en affirmant que les quotas sont inutiles. Mais selon moi, les quotas existent depuis 1850, et le quota pour les noirs était de zéro depuis ce temps là.

*Journaliste, en maîtrise de Communication (UnB)
Photo: Tana Cardoso

Traduit du Portugais par Guy everard Mbarga 

http://www.irohin.org.br/onl/new.php?sec=news&id=4334

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