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Vânia Penha-Lopes
Les centres commerciaux ou “shoppings”, comme les appellent les brésiliens sont des exemples d’espaces racialisés. Cela se produit du fait de l’intersection de la classe sociale avec la race. À travers leurs localisations et les boutiques qu’ils regroupent, les shoppings indiquent (communiquent) à la population quel niveau de pouvoir d’achat y est bienvenu. Plus que dans d’autres pays, au Brésil, le pouvoir d’achat est tellement lié à la couleur de la peau que de nombreuses personnes continuent de délivrer la même idée usée selon laquelle le problème du Brésil n’est pas racial, mais économique (comme s’il était impossible que ce soit les deux). Plus le pouvoir d’achat de la clientèle d’un shopping est fort, plus claire (de peau) a-t-elle tendance à être.
Tel est le cas de plusieurs shoppings brésiliens. Des centaines de boutiques disposent de produits exclusifs, comme par exemple, des vêtements de griffe internationale et des baskets qui coûtent R$800 la paire. Il est bien évident que l’objectif de ces shoppings est de servir les personnes résidents dans des zones si privilégiées financièrement que leur indice de développement humain (IDH) équivaut à celui des pays scandinaves (alors que des zones de la Baixada Fluminense ont par exemple un IDH aussi faible que celui de certains pays africains). Et si la clientèle des shoppings ne ressemble pas exactement à l’image blonde des scandinaves, elle est pour le moins constituée en grande majorité de blancs brésiliens. En majorité, il s’agit de familles pour beaucoup d’entre elles accompagnées de petits enfants. Il n y a rien de surprenant de tout cela. Pourtant, quand j’ai été emmenée par des amis en visite dans un certain shopping situé à l’extrême sud de la ville de Rio de Janeiro lors d’une journée pluvieuse de cette année, ce qui a déconcerté ma vision anthropologique c’était la couleur (de peau) des accompagnatrices des clientes.
En contraste avec les clientes—des femmes brunes aux cheveux longs, en excellente forme physique, vêtues de T-shirt, jeans et de sandales à talon plat—suivaient derrière elles de jeunes filles: toutes mulâtresses, vêtues de blanc de la tête aux pieds, chaussées de paires de basket (qui, j’en suis certaine n’ont pas coûté R$800), portant toutes des sacs de course en plus de courir après les enfants. J’insiste sur le mot “mulâtresse” car aucune des nounous n’avait la peau très foncée et aucune n’était blanche. Pourquoi un “uniforme” blanc? Il m’est apparu que cette modélisation n’avait aucun sens, puisque les nounous se trouvaient là pour s’occuper des enfants. Puisque les nounous gardaient le contact physique avec les enfants, elles couraient constamment le risque de souiller leurs uniformes avec des bonbons, du chocolat, une boisson, ou de quelque chose de pire. Autrement dit, ces uniformes, parce qu’ils étaient blancs n’étaient en rien pratiques. Mais ils servaient à démarquer l’espace racial des nounous, pour les indifférencier dans un collectif de servitude. Les uniformes les rendaient à la fois invisibles (puisque indifférenciables) et paradoxalement, hautement visibles en tant que non-blanches pauvres occupant temporairement un espace réservé aux blancs fortunés. Ces images répétitives m’ont rappelé les peintures pré-abolitionnistes de Rugendas et Debret, sur lesquelles les familles fortunées se promenaient dans Rio accompagnées de leurs mucamas.
À cette époque, la partie chic de la ville se trouvait au Centre; la splendeur de la Zone Sud restera méconnue par la majorité de la population pendant longtemps. Je ne souhaite pas nier avec cela la fin de l’esclavage, ni non plus comparer la situation des nounous avec celle des mucamas (concubines esclaves). Je ne souhaite pas non plus insinuer que les shoppings interdisent aux noirs de les fréquenter; en fin de compte, personne ne m’a empêché l’accès libre aux boutiques. Je suggère néanmoins que la ville reste racialement démarquée. Certains espaces sont de fait ouverts aux non-blancs uniquement s’ils occupent une position d’inégalité. Le shopping est une illustration de fait que longtemps après l’abolition de l’esclavage, la majorité des noirs brésiliens n’ont pas encore atteint les conditions nécessaires pour s’intégrer complètement à la société brésilienne en tant qu’égaux. En plus de cela, il y a la forte inégalité économique qui caractérise le Brésil .
La distribution du Brésil est telle que la majorité de la population est pauvre, la classe moyenne est peu nombreuse, et la classe haute est infime. C’est de là que vient l’intersection de la classe et de la couleur : tandis que la classe bourgeoise est presque totalement blanche, la classe la plus basse n’est pas complètement noire; le Brésil n’est pas l’Afrique du Sud. Ainsi, je suis certaine que les blancs pauvres se sentent également intimidés par les espaces économiquement privilégiés. Historiquement, le Brésil a admis l’existence de ses profondes inégalités économiques, sans pour cela faire grand chose pour les diminuer. Avec l’application des politiques d’actions affirmatives, le Brésil a commencé à reconnaitre la présence insidieuse des inégalités raciales ou de couleur et à essayer de combattre ces vieilles inégalités économiques. Ceux qui défendent l’idée selon laquelle le Brésil n’est pas raciste insistent pour réduire toutes nos inégalités sociales à la distribution injuste du vil métal. Cependant, faire un petit tour dans n’importe quel des shoppings les plus achalandés démontre que la race, ou la couleur, et le pouvoir d’achat vont de pair partout au Brésil.
[Note] : *Vânia Penha-Lopes est docteure en sociologie de l'Université de New-York, Post doctorante en sociologie de l'Université d'État de Rio de Janeiro(2006-2007), et Professeur de Sociologie au Bloomfield College (Usa)
Par: Vânia Penha-Lopes
Rédigé le samedi 15 décembre 2007
Une traduction de Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com/
http://www.basango.info/La-Racialisation-de-l-Espace-au-Bresil_a811.html