La rue où règne le son de la marimba de chonta afrocolombienne
Par: Camilo Beltrán Jacdedt Cultura y Entretenimiento Buenaventura. | 10:35 p.m. | 22 de Noviembre del 2010
La marimba a été incluse par l’Unesco au Patrimoine Immatériel de l’Humanité.
L’ Unesco a déclaré Patrimoine Immatériel de l’Humanité cet instrument afrocolombien.
À l’une des extrémités de Buenaventura, l’énorme bouche par laquelle tout ce qui nous vient de l’extérieur entre au pays, il y a un quartier du nom de Viento Libre et à l’intérieur, une rue non pavée qui s’ouvre comme une fausse porte dans le panorama désolant de maisons fendillées par l’humidité du tropique et qui, paradoxalement fut baptisée avec l’un des noms les plus poétiques du Pacifique Colombien ; Piedras Cantan (Les Pierres chantent).
La rue est sans issue, bordée de maisons en bois qui flottent sur l’eau, ancrées sur des gros troncs, aussi tranquilles et grises que la réalité que l’on perçoit en y pénétrant : les portes et les fenêtres usées sont fermées. Il n’y a ni chaises, ni tricycle, ni jouets, ni vêtements accrochés. Il n y a rien. L’endroit agonise en silence : le vent ne court pas librement et n’a pas assez de force pour faire bouger les feuilles des palmiers et des arbres. Même les pierres ne chantent pas.
Par surprise, on entend l’écho de quelque chose qui laisse apparaitre de la joie. Cela ressemble d’abord au son d’un coup de marteau rapide dont la force va en grandissant. Puis, à la résonnance que produit le coup d’une goutte d’eau qui tombe dans un seau, mais à une échelle géante. Il s’agit de l’appel euphorique d’une marimba qui sort de l’une des maisons et parcourt la rue, s’accroche aux branches des arbres, touche les portes des foyers voisins et disparait avant de se répéter.
Les gens, qui semblaient d’abord être absents, commencent à sortir automatiquement de leurs maisons comme s’ils ressuscitaient en entendant un appel qui les convoquait. Certains enfants courent vers les coups de marimba: ils lâchent quelques éclats de rire, applaudissent, dansent, s’embrassent, sortent leurs propres bombos –on ne voit aucun jouet, je le répète- et commencent à jouer avec la justesse que leur procure le fait d’être nés enveloppés par ses sonorités.
En même temps, quelques bébés marchent à quatre pattes sur le sol en terre et d’autres s’activent en faisant leurs premiers pas vers le vacarme créé par les instruments. À un autre endroit, les plus âgés s’installent sur leurs chaises à bascule ou sur les cadres des fenêtres, ou encore au sol, et en profitent de loin. Ils fixent un horizon qui n’existe pas avant de se laisser porter par leurs pensées. Et là, maintenant, on dirait que même les pierres chantent.
Celui qui joue s’appelle Baudilio Cuama, un artisan afrocolombien qui, depuis des années, préserve et construit dans cette zone du Pacifique un des instruments de percussion les plus importants, non seulement pour les départements de Nariño, Cauca et Valle del Cauca, mais aussi pour toute l’humanité, comme l’a déclaré l’Unesco la semaine dernière.
"La marimba est un apport des africains qui sont venus avec leurs connaissances en Amérique. Cependant, à la différence de la nôtre, qui traditionnellement se joue accrochée et dont la base est faite en bambou, là-bas, ils l’appellent balafon et il est élaboré à partir de l’arbre à calebasse et se joue sur le sol", explique Juana Francisca Álvarez, la fille de Petronio Álvarez, la coordinatrice culturelle de l’Université del Pacífico.
Cuama ne s’inquiète pas que les enfants et adolescents prennent d’assaut son atelier et jouent sans permission aux cununos, bombos et guasás –des instruments qui doivent accompagner la marimba-, car selon lui, il y a une impulsion intangible qui les oblige à participer à l’interprétation d’un currulao, d’une juga, d’un patacoré, d’un bambuco, d’un berejú, d’un pango ou d’une caramaba.
"Pour construire une marimba, la première chose qu’il y a à faire c’est de respecter les temps de coupe, qui sont étroitement liés à la marée et la lune décroissante. On ne doit pas couper le palmier de chonta juste pour le couper, il existe différents types et tous on un son très différent. Les meilleures sont la rougeâtre et la noire", raconte Cuama, sans arrêter de jouer, et il affirme être très préoccupé par les changements qu’a connu la marimba du Pacifique.
Traditionnellement, elle était jouée par deux musiciens: le tiplero, qui était chargé de jouer les touches les plus aigues et le bordonero, les plus graves. A présent, une seule personne la joue. "Avant, les marimbas étaient élaborées et accordées à l’oreille, mais aujourd’hui on se sert du son des notes de musiques pour pouvoir se mélanger avec d’autres rythmes en dehors des nôtres".
Ils continuent de jouer, sans aucune partition. Tous interprètent les mélodies dans un ordre improvisé et harmonieux. Cuama imprime le rythme et frappe les touches avec tant de force qu’elles le font sauter et danser dans les airs un millième de seconde, avant de retrouver sa place.
"À Piedras Cantan, les enfants n’ont pas de voiture, ni de poupée, mais ils possèdent un instrument et ils sont heureux de le jouer. Ici, ce n’est pas nécessaire de leur apprendre comment le faire, car nous n’utilisons pas la pédagogie consistant à leur prendre les mains pour indiquer les mouvements, on les invite à participer", indique Juan Vallecilla, musicien et interprète de Buenaventura.
La marimba résonne toujours dans les fêtes, les réunions sociales, les carnavals, les messes et même lors des veillées. C’est la ressource qu’utilisent les afrocolombiens pour dialoguer et exprimer ce qu’ils ressentent: c’est un outil qui remplace l’éloquence orale.
En ce jour précisément, la fête avait été enclenchée par Baudilio Cuama et personne ne s’y attendait. En fait, la rue montrait une réalité déserte que la marimba a transformé en joie sonore.
Cuama, avait malgré tout une bonne raison de célébrer: l’instrument qui lui a non seulement permis de se nourrir, et qui a procuré une identité à sa culture afrocolmbienne a été déclaré Patrimoine Immatériel de l’Humanité. Un fait inattendu , dont la portée est très significative.
Traduit de l'Espagnol Par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com