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Afrodescendants d'Amérique Latine et des Caraibes
19 juin 2008

L’ascension de Barack Obama vue par les noirs de France

Par MICHAEL KIMMELMAN du New-York-Times

The rapper Youssoupha, part of a generation in France that is rediscovering “négritude.”

Traduit de l’Anglais par Guy Everard Mbarga 

PARIS — Lorsqu’on a demandé l’autre jour à Youssoupha, un rappeur noir à quoi il pensait, un sourire a envahi son visage. “À Barack Obama,” avait-il répondu. “Obama nous dit que tout est possible.” 

Une nouvelle conscience noire est en train d’émerger en France, dernièrement accélérée principalement par le candidat  présomptif Démocrate à la présidence des États-Unis. Un article du Monde d’il y a quelques jours décrivait la manière dont Mr. Obama est “en train de susciter de grands espoirs ” parmi les noirs d’ici. Même voir le mot “noir” dans un journal français était encore toute une surprise jusqu’à récemment.

Pendant ce temps, le week-end dernier, 60 voitures ont été brûlées et  50 jeunes se sont bagarrés avec les policiers et les pompiers, blessant certains d’entre eux dans la banlieue pauvre de Vitry-le-François où vivent des minorités et située dans la région de la Marne au nord-est de la France. 

Les américains qui débattent sur les relations raciales depuis la naissance de leur République pourraient trouver difficile de saisir à quel point la race, comme la religion reste un sujet tabou en France. Alors que Barack Obama parle du fait qu’il mène une campagne qui transcende la race, un nombre croissant de Français noirs revendiquent en effet le contraire.

Ayant toujours pensé qu’elle était plus illuminée de ce point de vue qu'une Amérique déchirée par les conflits, la France se retrouve face à la perspective qu'elle est désormais en retard. Des incidents tels que ceux qui ont eu lieu au courant de la semaine nous rappellent les émeutes qui avaient explosé dans toute la France il y a trois ans. Depuis qu’elle a aboli l’esclavage il y a 160 ans, la France s’est officiellement déclarée daltonienne du point de vue de la race — mais en voyant  Barack Obama, une nouvelle génération de Français noirs affirme qu’il est grand temps qu’il y ait justement ici le genre de débats francs qui ont précédé la nomination d’un candidat noir de premier plan. 

Cette conscience noire se reflète non seulement dans les conversations quotidiennes, mais  également par une culture naissante dans les livres et la musique de jeunes français noirs comme Youssoupha, un jeune homme joyeux et au sourire carnassier âgé de 28 ans, que ses parents ont envoyé du Congo lorsqu’il avait 10 ans pour faire des études. Il a été élevé par une tante qui travaillait à la cafétéria d'une école dans une banlieue pauvre et les conseillers d'orientation lui avaient dit de ne pas être trop ambitieux. Plutôt que de suivre leurs conseils, il allait obtenir une maitrise à la Sorbonne.

Puis, comme de nombreux noirs ayant fait de brillantes études, il s’est trouvé face à un mur en béton. “Je me suis retrouvé à travailler dans des fast-foods avec des gens ayant l’équivalent de 15 années d’études,” se rappelle-t-il. 

Il s’est donc tourné vers le rap, par frustration autant que pour toute autre raison, trouvant son inspiration dans la  “négritude,” une idéologie de la fierté noire conçue à Paris dans les années 20 et 30 par  Aimé Césaire,  le poète français et politicien Martiniquais, et  Léopold Sédar Senghor, le poète devenu  premier président du Sénégal. Sa philosophie, comme l’avait une fois définie Sartre était une sorte de  “racisme antiraciste,” la célébration d’un héritage noir commun. 

La négritude et Césaire sont de retour. Lorsque ce dernier est mort en Avril dernier à l’âge de 94 ans, ses funérailles à Fort-de-France en Martinique ont été diffusées en direct à la télévision Française. Le président Français Nicolas Sarkozy, et son adversaire  Ségolène Royal y ont tous les deux participé. Il y a tout juste trois ans, Nicholas Sarkozy, en tant que chef de la droite et pas encore président avait soutenu une loi (abrogée après de nombreuses protestations) qui obligeait les écoles Françaises à enseigner les aspects “positifs” de la colonisation. L’année suivante, Césaire refusa de rencontrer Sarkozy. Et à présent, ce dernier était en déplacement dans l’ancienne colonie Française (…) pour rendre hommage au poète  champion de la négritude. 

Cela dit, en tant que pays, la France envoie à l’extérieur des messages assurément ambigus. “La négritude est un concept dont ils ne veulent tout simplement pas entendre parler,” dit Youssoupha dans  “Rendons à  Césaire”, un titre de son tout dernier album intitulé “À Chaque Frère” (“To Each Brother”). Il existe même un magazine  régulier à la télévision publique Française, “Citoyens Visibles,” présenté par une jeune actrice, Hafsia Herzi, qui célèbre des artistes Français d'origine étrangère.

Dans le même temps, il est illégal pour le gouvernement de mener des enquêtes officielles basé sur la race. Par conséquent, personne ne sait à coup sûr combien de noirs il y a en France. Des estimations varient entre 3 et 5 millions sur une population de plus de 61 millions d’habitants.

Pouvez-vous imaginer les dirigeants Français disant, ‘eh bien, nous n’en sommes pas certains, la population Française est peut-être de  65 millions d’habitants, ou peut-être de  30 millions’?” demandait un Patrick Lozès quelque peu exaspéré, créateur du  Cran, une organisation noire mise en place il n y a pas si longtemps et dont l’un des objectifs est de faire ce que le gouvernement ne fait pas, c’est-à-dire rassembler les statistiques.

Quand il s’est assis pour une discussion le dernier matin, les deux premiers mots qu’il a prononcés étaient  Barack et Obama. “L’idée derrière le fait de ne pas catégoriser les gens par leur race est évidemment bonne ; nous voulons bien croire à l’idéal républicain,” dit-il. “Mais en réalité, nous sommes aveugles en France, non pas aveugles du point de vue racial, mais plutôt du point de vue de l’information, et le simple fait de dire que les gens sont égaux ne les rend pas égaux.”

Il cite quelques chiffres patents: un seul noir représentant la France continentale à l’Assemblée Nationale sur un total de 555 membres ; aucun sénateur Français (noir) en métropole sur environ 300; quelques maires seulement sur environ 36000, et aucun dans les banlieues pauvres de Paris. 

À cela il faut ajouter le constat du Cran selon lequel le pourcentage de noirs en France détenant un diplôme universitaire est de 55, comparativement à 37 % pour la population générale. Mais le nombre de noirs qui se retrouvent coincés dans la classe ouvrière est de 45% contre une moyenne nationale de 34%.

C’est de l’hypocrisie totale,” indique Léonora Miano, une auteure noire de 37 ans, originaire du Cameroun dont le dernier roman  “Tels des Astres Éteints” (“Like Extinguished Stars”) parle des relations raciales telles que perçues par trois immigrants noirs.

Pour moi, c'était vraiment bizarre quand je suis arrivé ici il y a 17 ans de découvrir que les gens ici n'utilisaient jamais le mot race,” déclare-t-elle en prenant un café au Café Beaubourg. À l'extérieur, des immigrants Africains sont en train de vendre des lunettes de soleil à des touristes. “L'universalisme Français, l'ensemble de l'idéal républicain Français suggère que si tu adoptes les valeurs Françaises, la langue Française, la race n'existe pas par conséquent et ce ne sera pas un problème si tu es noir. Mais c'en est évidemment un. Il faut donc qu'il y ait une conversation, et on y arrive peu à peu : il ne s'agit pas d'une conversation  sur la culpabilité ou l'histoire, mais sur le présent. 

La condition noire: Essai sur une minorité Française” de Pap N’Diaye, un historien de 40 ans de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales est un autre nouveau livre dont on parle beaucoup ici. “Nous sommes témoins de la renaissance du mouvement de la négritude,”  indiquait récemment Mr. N’Diaye. 

La montée en popularité de Barack Obama parmi les noirs Français découle en partie de l’espoir que son ascension  “mettra en lumière notre manque de diversité et mettra la pression sur les politiciens Français qui disent qu'ils le soutiennent pour ouvrir un peu plus l'espace politique aux minorités,” indiquait Mr. N’Diaye. “Du point de vue de la race, nous sommes en France au niveau où nous étions il y a 40 ans du point de vue du sexe.” 

Il revient un peu sur l’histoire: La décolonisation Française pendant les années 1960 a peu après mis en veilleuse le mouvement original de la négritude, en même temps qu'elle a inspiré une  vague d'immigrants de la Caraïbe à venir ici pour occuper des emplois de fonctionnaires peu qualifiés. De l'Afrique Sub-saharienne, une autre vague de travailleurs a gravité vers l'industrie privée. Les deux populations n'ont pas beaucoup communiqué.

Mais leurs enfants, élevés ici ont grandi ensemble. “Le fait de découvrir la discrimination ensemble,” comme dit Mr. N’Diaye, a forgé un lien par lequel la négritude est en train de renaitre. 

Le point tournant fut les émeutes dans les banlieues Françaises pauvres il y a trois ans. Parmi les conséquences culturelles qui les ont suivis : Aimé Césaire “a commencé à être redécouvert par les jeunes qui trouvèrent dans son travail des choses qui s’apparentent à la situation actuelle,”  déclare Mr. N’Diaye. 

Youssoupha est l’un de ces jeunes. Il était en train de boire un Coca récemment au Top Kafé, un restaurant Tex-Mex juif à Créteil où il vit, non loin de Paris. Tout près de lui, deux serveurs en Kippa étaient assis sous des affiches poussiéreuses de Las Vegas et du Rabbin Menachem M. Schneerson, visionnant un match de Rafael Nadal. Un groupe de jeunes Arabes étaient en train de fumer à l'extérieur. Dans des endroits modestes comme ceux-ci, la France peut paraître remarquablement harmonieuse.

Césaire est présent dans les paroles de mes chansons et j'ai été  peinée quand les gens ont mal interprété ce que j’ai écris comme étant anti-blanc, car la négritude c’est l’affirmation de nos racines noires communes,” affirme Youssoupha.

Léonora Miano, la nouvelliste abonde dans le même sens. “Il n’existe rien de tel qu’une ‘communauté ’ noire en Francejusqu'à présenten partie parce que nous avons des histoires si différentes,” dit-elle. “Une immigrante malienne et une camerounaise voient le monde de manières complètement différentes. On ne devrait pas non plus penser que le racisme n’existe pas entre les noirs en France, entre les Antillais et les Africains. Il est bien présent. Mais en fin de compte, nous somme tous noirs face à la discrimination.” 

Puis elle sourit : “Dommage que j’aie oublié de porter mon T-shirt d’Obama.” 

Cédric Martigny/Opale

Léonora Miano, born in Cameroon, is the author of a recent novel about race relations.

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