L'Afrique doit elle demander pardon aux descendants des esclaves?
Dans un article intitulé Ending the Slavery Blame-Game paru dans le New-York Times du 22 avril dernier, Henry Louis Gates Jr. aborde le sujet de la responsabilité des élites des royaumes africains dans le commerce des esclaves. Il explique, références historiques à l'appui, que les Africains vendaient aux Européens des hommes et des femmes qu'ils avaient auparavant mis en esclavage.
Henry Louis Gates Jr.
La tribune du professeur Henry Louis Gates Jr. ajoute que les défenseurs des réparations par les occidentaux en faveur des afrodescendants ignorent souvent le rôle joué par les africains eux-mêmes dans la vente de leurs propres frères noirs. Ce dernier estime que la bonne question n'est pas de savoir si les réparations sont une bonne chose ou non ou qui doit en bénéficier, mais plutôt qui doit payer ces réparations. Il suggère à la fin que le président Barack Obama qui est à la fois Africain et blanc, doit trancher, en distribuant les torts comme il se doit, de manière à régler une fois pour tout ce problème ardu des réparations de l'esclavage.
Dans un autre article paru sur le site TheGrio.com, le Dr. Boyce Watkins répond à Gates en expliquant qu'il comprend que le sens de son texte d’opinion se résume comme suit : Nous (les africains américains) devons cesser de blâmer les États-Unis d'Amérique et l'Amérique blanche pour les viols, les meurtres, les lynchages, la castration et autres sévices. Le docteur Boyce Watkins se montre en désaccord avec cette suggestion, et rappelle que les États-Unis ont largement bénéficié de l'esclavage et la richesse qui en a découlé a été transmise de génération en génération entre les mains de la population blanche. Il explique que les conséquences de l'esclavage se poursuivent aujourd'hui en Amérique avec des noirs abonnés au chômage, à la prison, à la pauvreté de manière largement disproportionnée. Il affirme ne pas vouloir jouer le jeu du blâme, mais estime que les médias "mainstream" ne devraient pas non plus jouer le "jeu de l'irresponsabilité".
Le Dr Boyce Watkins se pose, en passant la question du pourquoi de cette tribune qui tente de déculpabiliser les blancs américains. Mi blagueur, mi sérieux (à mon avis), il ajoute qu'il espère que tel n'est pas le prix à payer lorsqu'on est noir pour pouvoir publier une tribune libre dans le New York times. Il rappelle également que Henry Louis Gates Jr a déjà essayé sur Pbs de prouver qu'il est en fait originaire d'Europe et explique qu'il s'agit peut-être pour lui d'une manière de pouvoir cadrer et avoir une place dans une société qui n'a jamais voulu de lui petit garçon noir de la Virginie occidentale (il écrit dans un livre qu'il a souvent été rejeté par les femmes blanches) etc. Pour rappel, Henry Louis Gates Jr est ce professeur d'Harvard qui avait été arrêté à son domicile par un policier blanc. Après avoir crié au racisme, et suite à une intervention assez maladroite de Barack Obama, cette affaire avait abouti au célèbre "sommet de la bière" à la Maison Blanche.
Au-delà de ce débat interne qui est latent aux États-Unis, en tant qu'africains, il semble opportun de tout d même se poser un certain nombre de questions. L'Afrique a-t'elle eu une responsabilité dans le commerce des esclaves? Si oui quelle était cette responsabilité et à quel en fut le poids? Et aussi l'Afrique doit-elle demander pardon aux afrodescendants, non seulement des États-Unis, mais aussi du reste des Amériques et des Caraïbes? Enfin comment l'Afrique doit-elle réparer les fautes qu'elle aurait commises vis-à-vis de sa diaspora issue de l'esclavage?
L'ancien président Béninois Mathieu Kérékou semble être l'un de ceux qui pensent que les africains ont quelque chose à se reprocher. Comme le rappelle d'ailleurs Henry Louis Gates Jr dans son article, en 1999, le chef d'État africain avait surpris une audience de noirs américains à Baltimore en se jetant à genou pour demander pardon pour le rôle "abominable" et "honteux" joué par les africains dans ce commerce.
Un grand nombre d'intellectuels africains et afrodescendants semblent pourtant nier la participation des africains à ce commerce. Le très célèbre chercheur afrocentriste Jean Philippe Omotunde, un Guadeloupéen en est un qui demande que les occidentaux qui ont l'habitude de fonctionner avec des contrats, des preuves écrites, fassent justement la preuve de la participation africaine en présentant un contrat de vente d'esclave signé avec un roi africain. Ce qui semble ne pas encore avoir été fait.
Toutefois, à mon humble avis, il est tout à fait impossible de dire avec certitude qu'il n y a pas eu, même en petit nombre, des chefs, rois et autres individus africains, pour des raisons commerciales ou autres qui aient pu prendre part à ce commerce. C'est la seule différence avec les Européens dont les preuves n'ont pas besoin d'être faites puisqu'elles sont visibles dans la présence de la diaspora africaine dans les Amériques. Sans oublier que les africains en Afrique ont subi très souvent le même sort que les esclaves noirs emmenés en Amérique, avec le travail forcé, les châtiments corporels, les génocides, les viols...
Cela n'empêche pas que l'Afrique, par principe de fraternité, et dans le doute, puisse reconnaitre qu'elle a pu avoir une responsabilité, même minimale dans ce trafic, même sans que cela soit prouvé. Partant de là, demander pardon et reconnaitre ses (éventuelles) fautes serait une force, un moteur pour avancer dans le grand projet de la renaissance africaine cher à certains leaders africains comme l'ancien chef de l'État Thabo Mbéki ou l'actuel président sénégalais Abdoulaye Wade entre autres.
L'Afrique devrait demander pardon à ses descendants issus de l'esclavage et offrir des réparations de tout ordre. D'ailleurs, la récente catastrophe qui a touché Haiti a permis de voir dans quel sens l'Afrique pourrait réparer son éventuelle participation à ce crime tout en se rapprochant de cette sixième région de l'Afrique, instituée par l'Union Africaine, que représente la diaspora africaine.
Les Haïtiens, afrocolombiens, afrobrésiliens, afroéquatoriens, afrovénézuéliens, afrochiliens, afropéruviens, afroargentins, guyanais, guadeloupéens, martiniquais, jamaïcains, afrodominicains, afroportoricains, afrocubains, afropéruviens, afrotrinidadiens, afromexicains, afroaméricains, afrocanadiens, afroboliviens, afrouruguayens, afroparaguayens, afrosalvadoriens, saramakas, garifunas devraient par exemple tous en Afrique avoir toutes les nationalités africaines qu'ils souhaitent avoir, disposer de conditions d'investissement préférentielles ou encore disposer d'une parcelle de terre dans n'importe quel pays africain. La Présidente libérienne Ellen Johnson-Sirleaf a d'ailleurs proposé la double nationalité aux afrobrésiliens lors de son récent séjour à Bahia, État comptant la plus forte population noire au monde après le Nigéria.
Les afrodescendants des Amériques et des Caraïbes vivent dans chaque pays de ces continents des conditions de vie difficiles des points de vue social, économique, culturel, de l'habitat, foncier ...très souvent parce que la condition d'esclaves de leurs ancêtres les a sans cesse, depuis des siècles, cantonné au bas de l'échelle sociale dans la très grande majorité des cas. Ils ont continuellement subi la discrimination et le racisme, et après tout ce temps, le rattrapage social ne s'est jamais fait, malgré toutes leurs luttes et des améliorations obtenues. L'Afrique peut leur permettre de s'élever socialement, si elle reconnait qu'en tant que mère, elle est responsable de tous ses enfants.
Écrit par Guy Everard Mbarga